Je viens aujourd’hui évoquer le mot « troubadour » qui suggère immédiatement le musicien itinérant, le luth sur l’épaule, voyageant de château en château, pour y chanter ses romances.
La réalité est toute autre …
On parle de troubadour pour les musiciens en langue d’oc, au Sud du royaume et on parle de « Trouvères » pour ceux qui s’expriment en langue d’oil au nord du royaume.
Tout d’abord le terme occitan trobador (troubadour) désigne, la personne qui
troba, qui trouve, c’est-à-dire qui invente des oeuvres poétiques portées par des mélodies. Le
troubadour est donc à la fois auteur et compositeur de pièces qu’il interprète lui-même devant
ses amis, dans le cadre de la cour à laquelle il est attaché ou invité, la « performance » pouvant être également assurée par un autre troubadour, plus rarement par un jongleur.
Trobar, trobador, dérivent de tropare et tropatore, formes elles-mêmes
issues du mot latin tropus qui signifie « trope », pièce composée pour enrichir la liturgie,
notamment en Aquitaine, la région où sont apparus les premiers troubadours.
Cette parenté sémantique révèle sans doute une parenté musicale, d’autant que des rapports de similitude ont pu être relevés entre les mélodies issues des monastères et celles issues des châteaux.
Certes, les mélodies des troubadours ne sont pas sans rapport avec celles du plain-chant
(chant liturgique catholique).
Cependant, des différences sensibles distinguent les deux répertoires, tant dans leur fonction que dans leur écriture : les chants des troubadours sont exclusivement (sauf de rares exceptions) profanes tandis que le plain-chant célèbre la louange de Dieu, dans une relation entre l’humanité et le monde divin.
La production des troubadours est ponctuelle, limitée dans le temps. On connaît l’auteur de telle ou telle chanson et l’on sait qu’il l’a composée à une occasion précise.
Les mélodies du plain-chant, quant à elles, s’étendent sur plusieurs siècles. Elles restent anonymes et ne sont jamais l’expression de sentiments personnels ou d’une subjectivité et elles sont encore pour certaines chantées de nos jours.
Les XIIe et XIIIe siècles, qui ont vu naître quelque quatre cent soixante troubadours, en comptant les trobairitz, qui sont des femmes cultivant le trobar, cette longue période a été considérée comme l’âge d’or du lyrisme occitant.
Il nous reste quelque deux mille cinq cents poèmes composés par les troubadours mais seulement, hélas, deux cent soixante mélodies, soit un dixième de leurs oeuvres, mélodies essentiellement contenues dans quatre grands recueils manuscrits dits chansonniers.
Ces chants composés en langue d’oc ont suscité une rupture linguistique par l’abandon du latin au profit de la langue vulgaire et ont ainsi doté les laïcs de modes d’expressions qui leur étaient propres.
De nombreux troubadours appartiennent à la noblesse, ils peuvent être pourvus de titres ou de fiefs et de biens, quelques-uns sont issus du clergé et n’ont pas de biens. Ils trouvent des protecteurs dans la noblesse. Un petit nombre d’entre eux sont des bourgeois, des
Commerçants.
L’Amour serait, dit-on, une invention du XIIe siècle !!!!!!....…
La littérature des siècles précédents évoque surtout des hauts faits d’armes Chanson de geste et les voix qui s’y expriment élèvent leurs chants vers Dieu.
Vers 1150 dans ce monde imprégné de christianisme, quelques poètes-musiciens du sud de la France chantent un amour plus terrestre adressé aux femmes les plus en vue de la société.
La fin’amor (expression intraduisible définissant l’amour parfait auquel le troubadour
consacre la plupart de ses chants), est l’expression de l’infini du désir… Amour à la fois sublimé et courtois.
Il s’adresse à une dame d’un rang ou d’un lignage le plus souvent supérieur et, le plus souvent également mariée, la domna, soit la femme du maître, d’une beauté lumineuse, que ses vertus achèvent de rendre inaccessible. Fondant l’imaginaire de l’amour sur la structure politique de la féodalité, l’amant prend une attitude de soumission vassalique à l’égard de la dame et s’engage à la servir lors d’une cérémonie d’ommatge (hommage).
La dame, tel le suzerain, doit récompenser son chevalier et lui accorder sa merci (sa pitié). Si elle l’agrée, il la sert, pour la vie et pour la mort, devenu son homme comme le vassal est soumis pour la vie et pour la mort au chevalier auquel il a prêté serment de fidélité. Ces lieux communs de lacortezia sont repris par tous les troubadours de l’âge classique,
Le premier troubadour connu n’est pas le moindre : au début du XIIe siècle, Guillaume IXd’Aquitaine, 7ème comte de Poitiers, 9ème duc d’Aquitaine (1071-1127), grand seigneur, riche et puissant, écrit en langue vulgaire des chansons (nous en connaissons onze) où figurent déjà l’ensemble des thèmes que développeront les troubadours et les trouvères, de pièces très crues aux chansons exquises d’un raffinement poétique que bien d’autres après lui n’égaleront pas. Il jette d’emblée les bases de l’érotique occitane que l’on appellera la « Fin Amor » puis l’amour courtois.
Ce grand personnage qu’était Guillaume IX n’hésitait pas à chanter lui-même ses propres
poèmes, comme il l’annonce simplement :« puisque le talent m’a pris de chanter, je ferai un vers »Parlant de l’une de ses chansons, il dit :« Mes vers sont tous de longueur égale ; je me loue de l’air que j’ai adapté ; il est de bonne valeur »Tel était le duc d’Aquitaine personnage haut en couleur.
Héritiers des troubadours qui chantaient en langue d’oc, les seigneurs de la France du Nord reprirent les formes et les motifs qu’ils utilisaient, célébrant à leur tour la fin’amor dans un ample mouvement de composition de pièces lyriques né au sein des grandes cours.
Comment l’art de trobar a-t-il été connu et repris en langue d’oïl ? Il faut, pour répondre à cette question, compter avec le mécénat d’une grande dame de l’Aquitaine qui tint cour à Poitiers.
Elle soutint de nombreux Trouvères itinérants qui ont pu ainsi transmettre la lyrique profane du sud au nord par les chants de leurs amis de cour en cour. Bien sûr il faut tenir compte de l’histoire et de ses mouvements de pensées et doctrines qui comme pour les troubadours ont inspirés leurs chants.
Et en premier l’illumination du cœur par l’amour qui ne pouvait qu’être bien accueillie. On vit un grand élan de célébration de la lumière qui apparut dans les différents arts, afin de rappeler que Aristote est la lumière du monde luttant ainsi contre l’hérésie.
La première génération de trouvères apparaît dans les années 1170, essentiellement en Champagne et en Brie. Grâce à eux, le trobar parvint à une grandeur et une perfection inégalées.
Une grande dame - fille de la dame d’Aquitaine - qui était extrêmement brillante exerça un mécénat important à la cour de Troyes, où se retrouvaient les trouvères et les plus grands romanciers. Ils eurent des émules en Picardie et en Artois.
Par ailleurs, un châtelain originaire du nord de l’Artois, fit partie de la grande lignée des trouvères classiques.
Au XIIIe siècle, quelque deux cents trouvères sont répertoriés dont beaucoup ne laissent parfois qu’une pièce ou un fragment de pièce. Leur production est particulièrement abondante dans la haute noblesse. Les trouvères composent essentiellement des grands chants, dits encore chansons ou sonsd’amour, qui correspondent à la canso des troubadours et aussi des lais et des descorts.
Dans cette catégorie doivent être également mises les chansons d’inspiration religieuse : chansons de croisade et chansons à la Vierge, qui sont souvent des contrafacta des grands chants courtois.
Si le corpus de mélodies de trouvères (près de deux mille) laissé par les copistes est près de dix fois plus vaste que celui qui subsiste pour les troubadours, c’est parce que le nord de la France était à la pointe de la production de manuscrits. Beaucoup de pièces populaires furent ainsi consignées avec soin, alors qu’il ne reste pour ainsi dire pas de traces de ce type de chansons en langue d’oc. La régularité des structures mélodiques des chansons du Nord est peut être aussi le reflet des milieux cultivés et lettrés où elles sont nées.
Les chansons de trouvères entretiennent des rapports étroits avec l’écriture polyphonique qui fut cultivée en Aquitaine dès le XIe siècle. Elle fu adoptée par la France du Nord dans les régions voisines de Paris.
Le Sud ne manifestant pas d’intérêt pour la polyphonie l’on vit s’éteindre l’âge d’or de la production des troubadours.
LES GENRES LYRIQUES
Si la quasi-totalité du répertoire des troubadours est fort éloignée de la danse, les chansons des trouvères ont souvent une fonctionnalité chorégraphique.
Le rondet de carole qui se transformera en rondeau polyphonique, a une structure complexe qui règle les pas des danseurs.
La ballade monodique occitane, reprise par les trouvères, s’ennoblit de plusieurs voix mais conserve longtemps son caractère de musique à danser et sa grande vogue
Le virelai (virer-tourner) est une autre forme de chanson à danser des trouvères,
Le thème du printemps, favorable à l’amour, introduction quasi obligée de la canso des troubadours, renaît dans la reverdie, poème chanté associant le renouveau de la nature et la rencontre amoureuse dans une atmosphère légère invitant à la danse.
En quelques strophes, les chansons de croisades révèlent les sentiments éprouvés et les opinions déclarées sur le « grand voyage » : exhortation au départ, tristesse de quitter sa belle, critique ouverte de l’attitude des princes et des évêques qui organisent ce grand voyage pour la croisade.
Un genre reste cependant à part de la production des trouvères et intimement lié à la tradition méditerranéenne ce sont les chansons de femmes.
Ces chansons narratives, chansons de geste en raccourci, mettent en scène des jeunes filles amoureuses d’un amant lointain ou incertain, elles les montrent dans l’attente, occupées à des travaux d’aiguille, d’où leur nom de chansons de toile.
On ignore si elles ont été écrites par des femmes ? Pour des femmes ? Chantées par des femmes ? Ces questions restent sans réponse et soulèvent celle de la présence des femmes dans le monde des trouvères. Présence qui semble encore plus réduite que dans la lyrique occitane.
La spontanéité de l’expression des héroïnes qui révèle l’ambiguïté de la condition de la femme, étroitement soumise à l’homme mais jouissant d’une grande liberté de pensées et de moeurs.
Le grand chant courtois reste cependant le genre majeur de la lyrique d’oïl. Si la forme de la canso est conservée, le ton y est moins grave et la poésie plus simple. On ne trouve pas d’exemple analogue au « trobar ric » ou« trobar clus » des troubadours…………….
Bien sûr je ne serais pas complète si je ne vous parlais pas en détail des différences entre le talent des divers troubadours ou trouvères, car dans tout ce qui est produit par l'humain il se fait une classification naturelle par les capacités ou les dons de chacun.
Les jongleurs, ce mot a un sens étymologique large qui veut dire « amuseur », ils ont de multiples et grands talents.
En effet, les activités artistiques ne sont pas cloisonnées et le mot jongleur désigne un artiste universel : musicien, chanteur, conteur, acrobate, mime, danseur, magicien, montreur d’animaux et même à l’occasion, vendeur d’onguents ou d’herbes médicinales.
A ces talents artistiques s’ajoutent l’idée d’itinérance et l’image réelle d’un vagabond mal considéré vendant ses talents à qui veut bien les éprouver et surtout au plus offrant.
Le mot« jongleur » s’applique donc au sens large à l’interprète.
Toutefois les talents sont inégaux, et d’autres termes précisent des fonctions qui délimitent une sorte de hiérarchie parmi eux.
Le « bouffon » ou « bateleur » évoquent plutôt le faiseur de tours d’adresse ou de force, se produisant sur les places publiques.
Le ménestrel à l’opposé, possède une très grande habileté à jouer d’un instrument ou un grand talent de conteur pouvant distinguer un jongleur de ses confrères et le faire sortir du rang, du lot commun, il devenait alors musicien ou conteur attitré d’un seigneur.
Il se fait alors une classification des jongleurs qui crée entre eux une hiérarchie.
Le saltimbanque en tout premier lieu en bas de cette hiérarchie, c’est le jongleur qui fait d’abord usage de son corps par la danse, l’acrobatie, le mime, les tours de magie. Celui qui montre des animaux ou imite leurs cris. Il exerce sur les places publiques et dans les tavernes, et en tout lieu où un public nombreux et peu exigeant se satisfait de ses facéties.
L’instrumentaliste se produit sur les mêmes lieux il est habile à reproduire la musique qu’il entend. Il fait danser la foule et chante des chansons légères. Il chante aussi la geste des rois et des princes, et conte les grandes épopées guerrières.
Le Chanteur-conteur est plus savant, c’est le jongleur bon musicien qui accompagne un troubadour à l’instrument, ou qui chante à sa place. Son public est celui des cours seigneuriales, qui apprécie aussi le récit des lais et les romans courtois. Les longs poèmes de plusieurs milliers de vers, entrecoupés de refrains,lui permettent de captiver son auditoire pendant plusieurs jours de suite.
Le trouveur tout en haut de cette hiérarchie c’est le jongleur qui a l’art d’inventer, de composer des chansons et des contes, et qui est capable de renouveler son répertoire musical et narratif pour intéresser à long terme un public cultivé et exigeant.
Cette dernière catégorie de jongleur entame la distinction établie entre troubadour, trouvère et jongleur.